Transpacifique partie 2 : Passage de l’équateur et cap sur Nuku Hiva
- Reef Sailing

- 11 août 2023
- 9 min de lecture
J9 les nuits sont toujours agitées. Il se pourrait que ce soit le cas pendant 1 semaine. La fraîcheur nous pousse à porter veste et pull à longueur de journée et à couvrir nos gorges pour ne pas que la maladie nous prenne. Avec la fatigue accumulée, le cocktail est parfait pour une bonne angine. La mer est toujours démontée et le vent bien établi. Nous gardons 2 ris sur la grand voile et un petit génois. Le capitaine peut se vanter d’avoir fait 170 milles en 24h avec une vitesse moyenne 7,17 noeuds au près serré. Les conditions étaient annoncées à 10 noeuds et 13 dans les rafales et cela fait 4 jours que nous avons entre 25 et 30 noeuds de vent. On nous aurait menti ?!
La bouteille de champagne est au frais car à ce rythme nous devrions passer la ligne de l’équateur demain dans l’après midi.
Noémie et Amandine rangent le bateau et mettent en place le lit dans le carré central : il servira de lit supplémentaire pour les mal logés dans leur cabine. En effet la couchette avant est la plus humide. Idée douteuse du constructeur, le hublot de cette dernière est percé d’une bouche d’aération sensée être adaptée mais qui laisse pourtant passer des gerbes d’eau de mer à chaque vague qui s’échoue sur le pont. En plus de cela, la cabine avant est celle qui ressent le plus fort les ondes de choc et le mouvement des vagues. Du côté des cabines arrières, Arnaud et Noémie se partage celle de gauche. A cause de la gîte ils dorment en travers du lit, pieds en bas, tête en haut, muscles contractés pour tenir en place. L’occupant de la cabine de droite, Pascal, ne se plaint pas.
Nous croisons de nouveau des bateaux illuminés au loin dans la nuit, non localisable avec l’AIS.

J10 Amandine revit. La nuit passée avec Frinkle dans le carré central lui a permis d’enfin se reposer correctement. La nuit prochaine ça sera à Noémie et Arnaud de tester ce couchage. Nous alternerons jusqu’à ce que les conditions soient meilleures.
Les prévisions météos se trompent une nouvelle fois : la journée prévue nuageuse est radieuse. Notre rapidité nous stupéfait toujours plus : une belle moyenne de plus de 8 noeuds sur la journée. Pascal décompte le temps qui nous sépare du passage de la ligne de l’équateur, nous espérons que ça sera pour l’apéritif du soir.
17h pétante, nous voilà euphoriques à fêter la traversée de cette ligne imaginaire mais pourtant sacralisée par les navigateurs du globe. Arnaud sert le champagne et Frinkle en tant que capitaine baptise le bateau et l’océan en l’honneur du dieu Neptune, Roi des Mers. Nous finissons la journée sur un beau coucher de soleil accompagnés de nos musiques favorites. A cette entrée dans l’hémisphère sud du globe !

J 13 les jours se suivent et se ressemblent. Notre journée est rythmée par une certaine routine : ménage/nettoyage/vaisselle le matin après le petit déjeuner, activité lecture/série Netflix/mots fléchés, préparation du repas de midi. Puis sieste, séance bronzage si la météo est au rendez-vous, nouvelle vaisselle, jeu de carte, lecture/Netflix, rangement. Une fois que les batteries sont chargées par le soleil, souvent en milieu d’après midi, nous avons le droit à 1-2h d’internet par jour grâce à Starlink. Puis apéro au coucher du soleil, repas du soir et démarrage des quarts de nuit. Nous suivons avec attention la vitesse qui détermine la date de notre arrivée tant attendue à Nuku hiva. Les milles nautiques défilent sur l’écran. Seuls les instruments GPS nous permettent de réaliser les kilomètres parcourus car en levant la tête nous avons chaque jour le même paysage : l’océan à perte de vue. On pourrait croire que l’on tourne en rond. Nous passons la plupart de notre temps assis ou couchés si bien qu’il parait nécessaire de se forcer à passer du temps debout chaque jour. Nous nous sommes en quelque sorte volontairement confinés nous mêmes dans un espace réduit et en constant mouvement. A l’écart du monde entier, dans notre bulle.
On commence à imaginer le programme une fois arrivés à destination : repos et profiter de la terre, peut être passer 2-3 nuits dans un hôtel sur place pour souffler. Par dessus tout, marcher, marcher, marcher. Ensuite nous reprendrons la mer en direction de Tahiti avec sûrement un arrêt aux Tuamotu et leurs atolls, étape immanquable du périple à faire découvrir à Noémie et Arnaud avant leur retour en avion.
J15 c’est grand jour de ménage. Nettoyage de la cuisine de fond en comble, salle de bain idem. Le cockpit est balayé et les chiens toilettés à grand coup de brosse pour éviter qu’ils ne remettent aussitôt des poils partout. Ils sont tous les deux sous traitement à cause de petites lésions dermatologiques résistantes aux traitement locaux. La vétérinaire de bord a encore dû prendre du service.

Les sacs poubelles remplis commencent à s’accumuler dans la salle de bain, lieu désigné de stockage. Pour éviter les mauvaises odeurs, nous jetons à la mer tous ce qui est organique et nettoyons tous les contenants. Si la poubelle est trop malodorante, c’est direction la baille à mouillage à l’avant du bateau !
Amandine et Frinkle en profitent pour inspecter les coffres sous leur lit. Ça n’est pas vraiment une surprise : ils sont pleins d’eau, ce qui explique l’humidité permanente dans cette pièce. A priori l’eau viendrait d’un défaut de joint silicone à l’avant du bateau, mais où? Cela reste à étudier. Dans ces coffres sont entreposés les ailes de kites, quelques babioles et le dernier paquet de croquettes des chiens. Par chance une partie des croquettes est récupérable. L’eau est évacuée avec une pompe manuelle et les cales sont séchées puis aérées.
Amandine fait l’inventaire du reste de nourriture pour la fin du voyage : nous allons bientôt passer aux conserves exclusives. En effet, les légumes et fruits frais ont été mangés ou ont pourris, idem pour les viandes fraîches. Quelques rares exceptions nous permettrons plus tard d’enrichir nos menus. Pas facile de satisfaire Arnaud et Frinkle, ils souhaitent manger quelque chose qui tienne au corps à chaque repas et pas uniquement de simples salades composées. Par chance il nous reste de quoi faire plusieurs pâtes bolognaises , des lentilles, des œufs et même des manchons de canard confit à faire avec de la purée mousseline.
La journée est marquée par une baisse de vent. Ça sera le cas encore demain jusqu’au soir, où nos voiles devraient à nouveau se gonfler. Frinkle et Pascal installent une retenue de baume pour la Grand voile et un tangon pour le Génois, le vent est parfois orienté très à l’arrière.
Actuellement au beau milieu de l’océan Pacifique, nous pouvons nous vanter de respirer l’air le plus pur qui existe. Aucune pollution ne vient troubler ni le ciel ni l’horizon. Les couleurs et les détails se détachent avec une netteté éclatante. Les nuits sont d’une limpidité à en faire pâlir de jalousie les astronomes. La lune a fait son grand retour.

J16 Aujourd’hui c’est Amandine qui est de quart de 6 à 8h et donc c’est petit déjeuner préparé avec bonne humeur pour tout l’équipage. Au menu pancakes avec Nutella ou sirop, céréales avec du lait, thé café ou cappuccino, et même si on le souhaite des œufs avec du bacon grillé.
Pascal et Frinkle se relaient tous les matins à partir de 8h pour barrer et mettre au repos le pilote automatique. Cela permet de recharger les batteries mises à contribution pendant la nuit. Frinkle contrôle l’état de la recharge depuis une application sur son téléphone et dès que les voyants sont au vert, nous pouvons allumer les prises et recharger nos appareils. Starlink nous permet d’avoir internet partout même au milieu du Pacifique. Incroyable mais vrai, il est possible de passer un appel vidéo vers la Martinique ou la France ! Nous avons pris l’abonnement « Roam mondial » a environ 200€ par mois, puis nous activons les « données prioritaires » pour que cela fonctionne dans les coins les plus reculés. Nous payons ensuite environ 2€ le Go. Ce petit bijou de technologie permet de s’affranchir du téléphone satellite et de charger en temps réel et avec une grande facilité les informations météos.

Question routage et météorologie , Frinkle utilise les applications Weather 4D et Navionics qui se sont révélés être de précieux outils.
Notre gestion des réservoirs d’eau douce est impeccable, à 15 jours en mer nous n’avons pas encore fini le premier réservoir ! En effet tout se fait à l’eau de mer et sur le pont ou la jupe arrière : vaisselle, douche, lessive. Nous allons peut être pouvoir nous accorder quelques rinçages à l’eau douce.
La journée se fini par l’un des plus beaux coucher de soleil du périple : un gigantesque groupe de dauphins tachetés nous rejoint et saute de tous les côtés autour du bateau. Il y en a de toutes les tailles, juvéniles comme adultes, et il semble qu’ils soient en chasse. Ce tableau est couronné par un ciel couleur pastel orange et rose, quelques nuages de coton et une superbe lune.

J19 L’équipage commence à fatiguer physiquement et moralement, il est temps que nous arrivions. La mer est de nouveau démontée après 1 semaine de calme, avec des creux de presque 4 mètres. La nuit a été rude pour tout le monde et le vent est monté jusqu’à 40 noeuds en rafale. Arnaud essaie de compenser son manque de sommeil avec des siestes dans le carré central. Nous en sommes tous à un stade où nous occupons simplement notre temps pour patienter avant notre arrivée, à Nuku Hiva, sans plus vraiment penser à la navigation en elle-même. Il faut prendre notre mal en patience encore quelques jours.
Les fuseaux horaires s’enchaînent, cela fait déjà deux fois que nous reculons notre montre d’une heure. Tahiti n’a plus que 3h de moins à son horloge.
J23 Les mouches ont envahi notre espace. Malgré nos efforts pour maintenir nos poubelles « propres » les voilà qui prolifèrent et se baladent dans le bateau avant de se poser sur nous. Chacun a sa technique pour les exterminer, plus ou moins efficace. Dans tous les cas nous allons devoir sortir les poubelles sur le pont car la salle de bain est devenu une véritable nurserie.
Le vent a baissé, la houle avec. Nous sommes maintenant vent arrière et osons sortir le Spi. Quelques manipulations plus tard, nous voyons s’étendre à l’avant du bateau cette gigantesque et majestueuse voile jaune, gonflée comme un ballon qui nous tire vers l’avant. La navigation avec le spi est très agréable et nous reprenons enfin de la vitesse. La nuit précédente, l’absence de vent était telle qu’à chaque vague la baume de la grand voile tapait avec un grand bruit, nuisant à notre sommeil.
Nous avons pris 1 à 2 jours de retard à cause du manque de vent. La frustration est à son comble, surtout que nous ne sommes qu’à quelques jours de la destination. Sur place nous avons prévu de nous accorder 2 nuits dans un hôtel, pour profiter d’une bonne douche chaude et d’un lit sec.
Nous n’avons pas pris le temps de nous peser avant le départ, mais le manque d’exercice physique et le régime alimentaire en navigation nous a tous fait perdre du poids. La fonte musculaire est marquée, surtout sur les jambes qui ne sont plus autant sollicitées par la marche. Vivement les randonnées et les sports nautiques !
Bien que les réserves de nourritures continuent de diminuer, les menus sont toujours sympathiques avec des lasagnes aux légumes, des salades colorées et même des pizzas faites maison.

J25 aujourd’hui c’est l’anniversaire du Capitaine, Frinkle ! La météo n’est pas au rendez vous, le ciel est couvert et la pluie fait son grand retour toute la journée. Le vent joue avec notre frustration. Nous tentons le spi le matin mais il est rapidement remplacé par le ciseau avec les grains qui s’abattent sur nous. Plus tard en fin de journée, nous sommes même contraints

de remettre le moteur pour la première fois depuis 3 semaines. Il nous reste environ 20h de moteur en gasoil, nous espérons que cela suffira. Nous passons le cap des 100 milles nautiques. Toute la journée nous faisons une légère déviation au nord de la trajectoire rectiligne pour espérer avoir le vent au portant sur la fin de l’expédition. Encore une fois les prévisions sont décevantes, il semble que le détour n’aura servit à rien d’autre que nous faire perdre du temps.
Pour son anniversaire, Frinkle nous a pêché un espadon miniature. Son palmarès est plutôt bon pour un néophyte, avec sur la traversée plusieurs dorades, un tazard, et il y a quelques jours un thon rouge ! Il y a quelques jours, nous avons eu également la visite d’un étrange oiseau qui voulait à tout prix se poser sur le bateau. Celui ci paraissait malade, et malgré nous, nous avons dû le chasser car il menaçait d’abîmer nos panneaux solaires en voulant se poser dessus avec fracas ou nos voiles avec sa conduite aléatoire. Les chiens se sont chargés de le faire fuir pour de bon.
Le bateau est dans un état de saleté qui frôle l’insalubrité. En voulant cuisiner le plat composé de Parmentier de canard pour l’anniversaire du capitaine, Arnaud a fait tomber le plat dans le petit espace derrière le four. Nous l’avons vu remonter sa tête par l’entrée du bateau en disant « les gars, ils s’est passé quelque chose d’horrible », fou rire garanti. Le graisse de canard s’est répandue partout et il n’y a rien de pire que de nettoyer ça. A cela se rajoute les odeurs de renfermé et d’humidité permanente, de poisson.


J26 Terre en vue ! 7h du matin le 9 août, nous apercevons une des premiers îles des Marquises : Ua Huka. Les ombres de l’île se dessinent timidement à travers la brume et les nuages chargés de pluie. Le vent reste capricieux, nous sommes donc au moteur. Tout l’équipage s’est réveillé pour l’occasion et venir voir la terre qui nous a tant manqué depuis plus de 3 semaines.
Nuku hiva est là devant nous et réchauffe nos cœurs : nous l’avons fait, nous avons réussi notre Transpacifique en 25 jours de navigation depuis le Panama !





Quel bonheur de vous suivre, quel plaisir de vous lire...
Quelle belle aventure ! Bravo aux matelots et moussaillons et merci et félicitations au Capitaine Frinkle de les avoir emmenés jusqu'au bout ...
Petite parenthèse technique: d'ici, derrière mes écrans d'ordinateur, le Spot fonctionne correctement...
Trop fier de vous 😉 (et de ma fille ...😍)
Félicitations à tous !!! Bravo
Respect👌🏽😍